-->En plaçant hors biens successoraux les capitaux issus des contrats d’assurance vie du défunt (article L 132-12 du Code des Assurances), on réduit la masse de calcul de la réserve. On réduit donc les droits des réservataires au profit le plus souvent du conjoint (clause bénéficiaire type dans les formulaires de souscription).
Les réservataires, exclus du bénéfice du contrat, peuvent toujours invoquer la notion de « primes manifestement exagérées », afin de rapporter au moins les primes à défaut de rapporter le capital.
Mais compte tenu des positions les plus récentes de la Cour de Cassation, les juges du fonds doivent respecter 2 grands principes s’ils veulent donner une base légale aux décisions relatives à l’exagération des primes :
- apprécier l’exagération en se situant au jour du paiement des primes,
- vérifier l’utilité du contrat pour le souscripteur au jour du paiement des primes.
Il est devenu quasi impossible de justifier de l’inutilité d’un contrat d’assurance vie moderne aux multiples objectifs, pour obtenir le rapport ou la réduction de tout ou partie des primes versées. Il est rare voire surprenant qu’un contrat n’est pas d’utilité pour le souscripteur. Les bénéficiaires désignés, autres que les réservataires, peuvent être sereins. Ils toucheront l’épargne acquise au détriment des réservataires écartés. Les juges saisis par les réservataires constateront l’utilité du contrat.
- Si utilité du contrat alors pas de notion de « primes manifestement exagérées ». La réserve est contournée.
- Si inutilité du contrat alors rapport ou réduction par la voie de « primes manifestement exagérées ». La réserve est protégée.
Non seulement la voie des primes manifestement exagérées a peu de chance d’aboutir, mais si par bonheur pour les réservataires, compte tenu des circonstances de l’espèce, elle aboutissait, en raison de l’inutilité du contrat constatée par le juge, la situation serait malgré tout favorable au bénéficiaire dans la mesure où les plus-values dégagées par le contrat sont hors du champ du rapport et de la réduction. Or les plus-values acquises au bénéficiaire seront d’autant plus importantes que le contrat aura été « inutile et inutilisé » par le souscripteur.
Alors, l’assurance vie est devenue un instrument légal de contournement de la réserve dès que les enfants en sont exclus. Ils sont privés de toute action sérieuse pour contester les effets de l’article L 132-12 du Code des Assurances.
Quelle somme prendre en compte pour le rapport ou la réduction ? La jurisprudence s’accorde pour dire que la totalité de la prime doit être prise en compte, et non la seule fraction jugée excessive de cette dernière. Dans l’hypothèse où les héritiers obtiennent gain de cause, l’ensemble des primes versées par l’assureur seront donc réintégrées à l’actif successoral.
-->Ce constat a également été fait en Belgique. La Cour constitutionnelle de Belgique, dans une décision en date du 28 juin 2008, a déclaré inconstitutionnels les articles 121 et 124 de la loi qui privaient les héritiers réservataires du droit d’exiger le rapport et du droit d’engager une demande en réduction.
-->Autre voie pour protéger la réserve : changer la clause bénéficiaire type « mon conjoint » par la clause « mes héritiers ».
Jurisprudence
-->Une décision de la Cour de Cassation du 17 juin 2009 démontre cette impossibilité de juger exagérées des primes qui pourtant représentaient près de 2 millions d’€ lorsque le souscripteur a su utiliser son contrat. Dans cet arrêt, la Cour remarque que « … compte tenu de son espérance de vie, de la nature de ses obligations familiales, de la possibilité de rachat en cas de difficultés de trésorerie, faculté dont il avait usée, l’opération de souscription présentait pour lui une utilité certaine… ». Il n’y a pas eu « primes manifestement exagérées ».
-->La deuxième chambre civile de la Cour de Cassation, le 28 juin 2012, casse un arrêt d’appel qui avait exclu l’excès de primes, sans tenir compte de l’utilité des contrats souscrits par le souscripteur.
-->Deux arrêts rendus par la Cour de Cassation le 26 octobre et le 03 novembre 2011 recourent à une requalification en libéralité pour rappeler que l’assurance vie ne doit pas être un mécanisme visant à évincer ses héritiers, notamment lorsque ces derniers sont réservataires.
Dans l’affaire du 26 octobre 2011, la Cour de Cassation confirme la position de la Cour d’appel et requalifie les opérations en libéralités rapportables à la succession de la défunte.
Dans l’affaire du 03 novembre 2011, pour débouter le fils du défunt de sa demande, la Cour de Cassation constate que la Cour d’appel n’a pas recherché si la libéralité consentie à la concubine avait porté atteinte à la réserve héréditaire du descendant du défunt.
Ces deux arrêts permettent donc à la Cour de Cassation de rappeler que l’assurance vie ne doit pas être un moyen de se dépouiller de son patrimoine dans le but d’évincer ses héritiers, sur le terrain de la réserve. Elle protège les héritiers réservataires et sanctionne l’intention de les évincer.
-->Dans une affaire, des héritiers lésés car non bénéficiaires, évoquent la violation par la législation française de l’article 14 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, qui précise notamment que « la jouissance des droits et libertés…doit être assurée, sans distinction aucune…. ». La Cour de Cassation, dans son arrêt du 19 mars 2014, balaye l’argument de la violation de l’article 14 cité en référence ci-dessus. En effet, pour la Cour, l’article L132-13 du Code des Assurances n’opère pas une distinction entre les héritiers réservataires selon qu’ils sont ou non bénéficiaires du contrat.
-->La Cour de Cassation dans son arrêt du 16 avril 2015 redit que l’appréciation exagérée des primes versées doit se faire à la date des versements. Et que les juges du fond doivent avoir recherché l’utilité de chacune des opérations pour la souscriptrice. Dans cette affaire, la souscriptrice avait désigné comme bénéficiaire seulement 2 de ses enfants sur 6. Les 4 autres demandent la réintégration dans l’actif de succession des primes manifestement excessives. La Cour de Cassation, comme en appel, va rejeter leur demande.
-->Dans une autre affaire, la Cour d’appel impose la réintégration des primes dans l’actif de succession car le versement (moins d’un an avant le décès de l’assuré) « ne répondait à aucune utilité d’ordre patrimonial pour la souscriptrice-assurée, de sorte qu’il convient de considérer qu’il y a eu un caractère manifestement exagéré des primes versées ». Mais la Cour de Cassation, dans son arrêt du 04 mars 2015, censure cette décision au motif que les juges du fond ont commis une erreur. Ils se sont déterminés sur la seule appréciation de l’utilité de la souscription, sans avoir étudié la situation patrimoniale de la souscriptrice au moment du versement. La simple constatation que le décès de la souscriptrice soit intervenu moins d’un an après la souscription du contrat est insuffisant.
-->Dans une autre affaire, la Cour de Cassation, dans son arrêt du 05 mai 2018, rappelle que l’assurance vie est un placement de long terme. Pour les héritiers réservataires exclus du bénéfice de l’assurance vie au profit du conjoint, l’assuré n’avait nullement besoin du contrat souscrit. Conséquences : des primes inutiles, donc exagérées, rapportables et éventuellement réductibles. Pour les réservataires, ces primes ne pouvaient avoir d’autre utilité que de les exclure. La finalité de ce contrat était d’échapper aux règles successorales sur ces primes.
Les juges de la Cour de Cassation reconnaissent que, si l’assuré n’avait effectivement pas besoin de puiser à court terme dans son contrat, le versement de primes était cependant un placement utile parce que s’inscrivant dans une démarche cohérente de vie : le contrat d’assurance vie est un placement de long terme.
A la date de leur versement, les primes ne présentaient pas un caractère manifestement exagéré et ne devaient pas être réintégrées à l’actif de la succession.
L’utilité du contrat d’assurance vie se matérialise dans l’exercice d’un droit simple mais essentiel : le rachat total ou partiel.
C’est parce que le contrat est potentiellement rachetable qu’il est utile au souscripteur pour financer sur le long terme ses dépenses de vie, de survie et de fin de vie.
Les héritiers réservataires devront de fait renoncer à toute action sur ce fondement de l’exagération, puisque l’assurance vie est par nature un placement long. L’utilité à long terme de l’assurance vie est légitimement reconnue. L’assurance vie est devenue un instrument de contournement éventuel de la réserve héréditaire.