Souscription conjointe avec dénouement au second décès

C’est la formule la plus couramment demandée par les souscripteurs partisans de la cosouscription. Les assureurs ne la tolèrent qu’à la condition que le couple soit marié (conséquence de la réponse ministérielle Lazaro du 20 décembre 1993) :

  • sous le régime de la communauté universelle avec attribution intégrale au survivant,
  • ou sous le régime légal avec clause de préciput.

Dans les autres cas (autres régimes matrimoniaux ou couples non mariés), l’administration fiscale requalifie cet acte en donation déguisée ou indirecte ou en pacte sur succession future. Et ce malgré l’arrêt de la Cour de Cassation en date du 28 juin 2005, qui a débouté l’administration fiscale de ses tentatives de qualification de donation indirecte d’un contrat d’assurance vie souscrit en adhésion conjointe. Dans cette affaire, la Cour de Cassation approuve la Cour d’appel d’Aix-en-Provence d’avoir constaté l’absence de donation indirecte au motif que « la faculté de rachat dont bénéficiait chaque souscripteur pendant la durée du contrat excluait qu’il se soit dépouillé irrévocablement au sens de l’article 894 du Code Civil ».

En dépit de cet arrêt, il convient de décourager la pratique, consistant à favoriser les souscriptions conjointes avec dénouement au second décès, sous prétexte qu’elles pourraient ne plus présenter de risques de taxation de la part de l’administration. Car rien ne justifie en droit que la valeur patrimoniale d’un contrat, matérialisé par le droit au rachat, puisse être transférée intégralement au cosouscripteur survivant sans qu’il n’ait à justifier de cet enrichissement.

En l’état actuel, cette décision ne saurait constituer une jurisprudence arrêtée.

Cependant, dans une note en date de juin 2010, Monsieur Aulagnier rappelle qu’il considère qu’une souscription conjointe avec dénouement au deuxième décès ne peut pas être qualifiée de donation indirecte. Il invite les compagnies d’assurance à renoncer à imposer une quelconque modification du régime matrimonial. En effet, pourquoi un contrat en adhésion individuelle financé avec des deniers communs ne serait pas alors également qualifié de donation indirecte ? Le contrat d’assurance vie est un acquêt de communauté au sens de l’article 1401 du CC, il ne peut y avoir appropriation directe du contrat par le conjoint. Le « titre » assure au conjoint la propriété. Il devra être porté dans la communauté « la finance », c’est-à-dire la valeur de rachat du contrat (à défaut, il pourrait y avoir recel de biens communs – article 1477 du CC). Le conjoint, pour s’approprier le contrat en valeur, devra se le faire attribuer en moins prenant lors de la liquidation partage de la communauté comme à valoir sur ses droits dans la communauté. L’attribution du contrat au conjoint se fait au terme de la liquidation et du partage de la communauté.

Pour autant, une clause de préciput se justifie si les époux veulent offrir au survivant la faculté de prélever le contrat avant tout partage de la communauté. C’est un moyen de mettre civilement hors communauté et donc hors succession, les contrats d’assurance non dénoués visés.

Pas de désignation bénéficiaire testamentaire.

La co-souscription avec dénouement au décès du survivant ne réalise pas une donation : Réponse Ministérielle Malhuret, JO Sénat 10 janvier 2019

Venons-en à la situation imaginée dans la question posée par Monsieur Malhuret concernant des époux mariés sous le régime de communauté. Le contrat co-souscrit a été financé avec des deniers communs.

Au premier décès, le survivant des époux conserve le contrat comme il conserve d’ailleurs le (ou les) contrat(s) souscrit (s) à son nom seul.

On connaît la force du « titre » qui confère les pouvoirs exclusifs de gestion et d’administration au souscripteur survivant sans pour autant lui attribuer « la propriété » exclusive du bien, « la finance ».

Les contrats non dénoués qu’ils soient souscrits au seul nom du survivant ou souscrits en co-adhésion sont et demeurent des actifs communs (acquêt) qui entrent dans la masse commune à liquider et éventuellement à partager.

En effet, puisque la valeur de rachat est un actif commun (acquêt), elle compose pour moitié la succession du défunt, dévolue aux héritiers (confirmé par l’arrêt de la Cour de Cassation du 26 juin 2019) : probablement le conjoint et des enfants. Ces derniers ont donc des droits sur une partie de cette valeur de rachat. Il est faux de penser que parce que le survivant a seul les pouvoirs, il est seul propriétaire. Cela vaut pour la liquidation civile.

Juridiquement, le survivant ne s’approprie pas la valeur de rachat du contrat non dénoué. Ce que le survivant s’arroge, c’est l’exclusivité des pouvoirs sur le contrat, là où un autre bien commun serait soumis aux règles de gestion de l’indivision.

Un droit de partage + les émoluments de l’acte notarié est à prévoir.

D’où l’intérêt de la clause de préciput. Cela renforce la protection du conjoint survivant limite = action en retranchement).

Autre alternative : recourir au cantonnement de la donation au dernier vivant. Le conjoint survivant pourrait choisir de cantonner son émolument sur la moitié des contrats non dénoués. Il détient alors l’intégralité du contrat sans procéder à un partage.

Comment pourrait-on voir alors une quelconque « donation susceptible de taxation » ?

Rappelons qu’une donation se caractérise par deux éléments cumulatifs : l’élément matériel, ou objectif, constitué par l’avantage économique et l’élément intentionnel, ou animus donandi.

Le fait que, par le titre, l’époux survivant puisse seul gérer le contrat et en disposer n’est certainement pas constitutif d’une donation même en présence d’une telle intention lors de la souscription : l’élément matériel fait défaut.

La co-adhésion répond certainement d’une volonté de garantir au survivant la liberté et l’autonomie de gestion, soit la mainmise sur le contrat. Mais ceci n’est pas spécifique à la co-adhésion ; il en va de même en cas d’adhésion simple pour le contrat non dénoué (celui de l’époux qui aura survécu).

Le contrat est un actif qui pour sa valeur de rachat compose la masse commune à liquider et éventuellement à partager.

Les assureurs vont-ils comprendre, et enfin admettre, que le risque de requalification en donation lié à une co-adhésion par des époux usant de deniers communs n’existe pas et qu’il est injustifiable d’exiger une adaptation préalable du régime matrimonial.

Les avantages de la co-souscription avec dénouement au deuxième décès depuis la réponse ministérielle CIOT du 23 février 2016

Les épargnants peuvent vouloir co-souscrire sans pour autant augmenter par préciput la part revenant au survivant, procédé qui diminue celle revenant aux enfants.

Co-souscrire un contrat d’assurance vie en stipulant que le contrat ne se dénouera qu’au décès du survivant des co-souscripteurs présente un réel intérêt patrimonial et fiscal.

Supposons que les co-assurés ont moins de 70 ans au jour du versement des primes.

Si le contrat se dénoue au premier décès au profit du co-souscripteur survivant, ce dernier est exonéré en vertu des dispositions de la loi TEPA.

Cependant il doit, on peut facilement l’imaginer, replacer ce capital décès et pourquoi pas en assurance vie, oui…. mais il aura peut-être au jour de cet investissement plus de 70 ans. Les bénéficiaires de ce nouveau contrat ne pourront pas se prévaloir des dispositions favorables de l’article 990 I du CGI et supporteront la fiscalité prévue par l’article 757 B (abattement limité aux 30.500 € de primes et intérêts non fiscalisés).

Par contre, si la co-adhésion avait été assortie d’un dénouement au décès du survivant des assurés :

  • au jour du premier décès, le contrat se serait poursuivi entre les mains du survivant, conservant son antériorité, avec les avantages associés en terme d’impôts sur le revenu et le bénéfice des dispositions applicables depuis le 1er janvier 2016, exonération de tout droit de mutation (RM Ciot).
  • au jour du décès du survivant des époux chacun des bénéficiaires aurait pu bénéficier d’un abattement de 152.500 euros et du taux de 20% pour le surplus.

Il serait désolant que par une méconnaissance de la règle juridique les assureurs privent les assurés d’un avantage certain qui ne nécessite absolument pas de modifier son régime matrimonial, il pourrait en résulter une « perte de chance » dont l’assureur pourrait être comptable.

Jurisprudence

Le contrat d’assurance non dénoué, financé avec des deniers présumés communs, constitue tant civilement que fiscalement un acquêt de communauté.

De manière on ne peut plus claire, la Cour de Cassation a confirmé dans un arrêt du 26 juin 2019 que le contrat cosouscrit non dénoué au premier décès était incontestablement un acquêt de la communauté. En conséquence il devait être pris en compte dans la détermination de la masse des biens de la succession sur laquelle s’exercera, d’une part les droits du conjoint, supposons la totalité en usufruit, d’autre part les droits des enfants, supposons la totalité en nue-propriété.

Les enfants ne sont pas écartés de tout droit sur la valeur patrimoniale du contrat.

Les enfants ne sont pas exclus, et ne voulant surtout pas les exclure, on repoussera toute proposition visant à offrir au conjoint par une adaptation préalable du régime matrimonial une faculté de prélèvement du contrat par l’exercice par exemple d’une disposition préciputaire.

Acquêt de communauté, le contrat pourra prétendre aux dispositions précisées au BOFIP le 31 mai 2016, reprenant les termes de la Réponse Ministérielle CIOT du 23 février 2016 :

« Il est admis, pour toutes les successions ouvertes à compter du 1er janvier 2016, qu’au plan fiscal la valeur de rachat d’un contrat d’assurance-vie souscrit avec des fonds communs et non dénoué à la date du décès de l’époux bénéficiaire de ce contrat, ne soit pas intégrée à l’actif de la communauté conjugale lors de sa liquidation, et ne constitue donc pas un élément de l’actif successoral pour le calcul des droits de mutation dus par les héritiers de l’époux prédécédé ».

Cette exonération fiscale profite donc à tous ceux qui ont des droits dans ce contrat, c’est-à-dire conjoint et enfants, alors que les dispositifs issus de la loi TEPA ne profitent qu’au conjoint.

Cet avantage fiscal considérable n’est pas plafonné, quelle que soit l’importance de la valeur de rachat du contrat.

 

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