Acquisition en tontine

L’imagination des praticiens a permis la mise en place de la tontine, qui repose sur le jeu d’une double condition suspensive de survie et résolutoire de prédécès. Ainsi le survivant des acquéreurs est réputé propriétaire du bien rétroactivement depuis l’acquisition, alors que le prémourant est réputé n’avoir jamais eu la propriété du bien. Le montage évite ainsi la qualification de pacte sur succession future et la nullité qui y est attachée.

Ce contrat ne réalise pas une libéralité entre coacquéreurs, mais à la condition que le contrat soit bien aléatoire, c’est à dire que les chances de survie soient également partagées et que le financement soit assuré dans la même proportion par chacun des coacquéreurs.

Effet civil
L’opération permet d’échapper à la réserve héréditaire des héritiers respectifs des acquéreurs. En effet, puisque le bien quitte le patrimoine du défunt, il ne fait plus partie de la réserve héréditaire de sa succession. Les héritiers réservataires s’estimant lésés, peuvent demander à ce que le bien réintègre la succession. Mais il leur faut prouver que le pacte tontinier a été conclu pour les priver de leur part de l’héritage.

Inconvénients

--> En l’absence d’indivision, le partage ne peut être provoqué, ce qui conduit inévitablement à une situation de blocage en cas de mésentente entre les cotontiniers. Et le juge n’a aucun pouvoir pour la débloquer. La vente du bien, le décès d’un des signataires du pacte ou la renonciation de la clause permettront de sortir de la tontine, ce qui permet de revenir dans le champ d’application du droit commun de l’indivision.

--> Les biens recueillis en vertu d’une clause tontinière sont réputés acquis à titre gratuit. Le survivant est redevable de l’impôt sur les successions, à un taux qui dépend des liens de parenté avec la personne décédée. Avec exonération s’il s’agit du conjoint ou d’un partenaire de Pacs. A 60 % s’il s’agit de personnes étrangères (concubins).

Cependant, cette disposition ne s’appliquait pas (article 754 A du CGI) à l’habitation principale commune à deux acquéreurs lorsque celle-ci a une valeur globale inférieure à 76.000 €, auquel cas un droit de vente est perçu sur la valeur de la moitié du bien.

La loi de finances pour 2010 a aménagé ce régime, en permettant au bénéficiaire, lorsque la transmission porte sur l’habitation principale et que celle-ci a une valeur inférieure à 76.000 €, d’opter pour l’application des droits de succession.

Il reste toutefois une possibilité de contourner le paiement des droits de succession. L’article 754 A évoque un contrat d’acquisition en commun et non un contrat de société. Il suffit alors d’insérer une clause tontinière dans les statuts d’une SCI, détenue à parts égales par chacun des coacquéreurs. La tontine porte sur les titres sociaux. Le transfert de propriété est dès lors considéré comme une mutation à titre onéreux. Les survivants, devenus rétroactivement propriétaires de la totalité des parts en vertu de cette clause, ne devront régler que les droits d’enregistrement applicables aux cessions de parts sociales. Pour éviter toute requalification, la société ne doit pas être fictive, et les associés peuvent souscrire un lot de titres sociaux hors du pacte tontinier.

La tontine va ainsi priver les héritiers de l’acquéreur prédécédé de tout droit dans le bien. Cet effet doit être consciemment recherché par les acquéreurs.

A prévoir
Si acquisition directe en tontine, coût des droits de mutation anticipé par le recours à l’assurance-vie.

État de la jurisprudence

– Première affaire : un pacte tontinier inséré dans les statuts de 2 SCI. Les associés étaient le père, apporteur d’un immeuble dans les 2 sociétés, et ses 4 enfants, apporteur chacun d’une somme d’argent très faible. Suite au décès du père, les services fiscaux ont attaqué l’opération. Mais le juge ne les a pas suivi (CA Chambéry 18 novembre 2003). Aucun droit de mutation à titre gratuit n’est exigible.

– Deuxième affaire : un arrêt de la Cour de Cassation (Cassation, 10 mai 2007) remet les pendules à l’heure. Des concubins avaient constitué entre eux une SCI et inséré une clause de tontine dans les statuts. Après le décès de Monsieur, ses 3 enfants ont mis en cause le caractère aléatoire de la clause d’accroissement. La Cour d’appel d’Aix-En-provence, le 22 février 2005 les a suivis, qualifiant l’opération de donation déguisée en retenant l’appréciation des juges du fond. Le défunt avait financé seul le capital et l’augmentation de capital postérieure alors que son mauvais état de santé et sa sensible différence d’âge avec sa concubine rendaient probable son prédécès.

– Autre affaire : Cour de Cassation, arrêt du 05 décembre 2012. Décès d’un acquéreur en tontine tué par son coacquéreur, décédé par la suite. La clause d’accroissement reposant sur un aléa tenant à la personne du coacquéreur survivant, il est donc légitime de se demander si le meurtrier n’avait pas fait échec à l’exécution du pacte de tontine en ôtant la vie de son coacquéreur. La Cour statut qu’il n’existe pas dans les rapports entre les parties un débiteur d’obligation et un créancier et que l’article 1178 du Code Civil n’était pas applicable dans cette affaire. Donc la tontine est valable. Cependant, les héritiers du coacquéreur décédé sont privés de la possibilité de retrouver l’immeuble dans la succession de leur parent. En application des dispositions de l’article 1382 du Code Civil, les héritiers sont fondés à réclamer la réparation du préjudice matériel résultant de cette situation. La Cour de Cassation retient ainsi la perte de chance et octroi aux héritiers de la victime coacquéreur 50 % du prix de vente de l’immeuble. Solution juste.

 

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